Le Bourg
Nous allons nous intéresser à son nom : LA BATIE-NEUVE, à sa configuration, à l’histoire mouvementée de son château, à son église Notre-Dame de Consolation, à la Congrégation du Saint-Esprit, à la fabrique des faïences qui fonctionna dans le village au XVIIIe siècle et à d’autres curiosités locales comme les sépultures de SERRE, avant d’en découvrir aussi à travers l’histoire de ses hameaux.
ETYMOLOGIE DU NOM DE LA BATIE NEUVE
Pour la première fois nous voyons apparaître le nom Bâtie-Neuve au XIIIe siècle, très exactement en 1255 et 1257 dans deux chartes de DURBON.
Une Charte est un acte d’un souverain servant de base à la constitution d’un pays dont elle constate les privilèges et les libertés. Au Moyen-âge, c’est un écrit authentique destiné à consigner les droits ou à régler des intérêts. Dès le XVIe siècle, ce mot sert plus précisément à désigner des documents du Moyen-âge (Nouveau Larousse illustré tome 2).
La Chartreuse de DURBON a été fondée en 1116, c’était un monastère de chartreux implanté en DEVOLUY. Il recueillit les religieuses de la chartreuse de BERTAUD fondée en 1188 à la Roche-des-Arnauds après l’incendie qui détruisit totalement leurs bâtiments. Les biens des deux communautés furent réunis, ils étaient considérables. En 1747 un plan de leurs différents domaines fut dressé. Un état des revenus des Chartreux ainsi que les charges qui grevaient leurs ressources pour entretenir leurs immeubles, satisfaire aux obligations de charité de l’Ordre peut être consulté aux archives départementales des Hautes-Alpes. La chartreuse tenait une grande place dans la vie économique de la vallée, elle possédait des pâturages pour ses immenses troupeaux qui transhumaient en Provence l’hiver. Elle versait, en guise de péage, des moutons. Les chartreux bénéficiaient aussi du « droit de franc salé », c’est-à-dire qu’ils devaient recevoir chaque année une attribution gratuite de sel, en compensation des terrains cédés au pouvoir royal. Ils expédiaient des bois en Provence, par la rivière et par flottage. Comme le commerce de l’argent était condamné par l’Eglise, ils travaillaient avec les banquiers lombards, juifs le plus souvent, avec les colporteurs qui leur apportaient l’encens, les étoffes précieuses et rares, les émaux et l’ivoire.
La chartreuse de DURBON est aujourd’hui en ruine.
- Ruines de la Chartreuse de Durbon
Nous pouvons lire dans la charte qui marque la naissance de notre village : APUD BASTIAM NOVAM – IN BASTIA NOVA qui se francise en La Bâtie-Neuve. Toutefois, avant d’être ainsi dénommé, a-t-il pu s’appeler ICTODURUM puisque certains auteurs n’admettent pas que ce soit Saint-Pancrace qui mérite cette appellation ? Là encore, la controverse est très nourrie.
La BATIE-NEUVE est dite par Messieurs SIBOUR et BENONI (BSEHA 1885) une localité très intéressante trop méconnue trop oubliée des géographes et des archéologues qui se sont occupés des antiquités de la Gaule dans cette partie des Alpes et qui dans la question d’ICTODURUM, lorsqu’ils ont voulu l’identifier, sont allés en chercher la position à des écarts considérables, sans penser au trajet direct de GAP à CHORGES.
Il n’existe à la vérité aucun vestige bien caractérisé d’une voie romaine antique mais entre ces deux villes on peut penser que le chemin qui conduisait en Italie par le MONT-GENEVRE, a succédé à la voie romaine qui passe par la BATIE-NEUVE. Ce chemin est celui qui au sortir de GAP traverse la LUYE au pont de RAMBAUD, se dirige vers le plateau dit La JUSTICE parce que la potence destinée aux condamnés était dressée sur cet emplacement. De là cette voie de communication conduit vers la BATIE-NEUVE en passant à côté du hameau du GRAND-LARRA où était autrefois un hôpital desservi par les ANTONINS. Un peu au-delà se trouve un embranchement qui conduit à la BATIE-VIEILLE, située sur une colline à un kilomètre de là, le chemin à cet endroit mesure sept pas, largeur comparable à celle de diverses voies romaines.
L’autre partie de la voie, après avoir traversé le village de la BATIE- NEUVE où la rue principale conserve encore les sinuosités du chemin antique, se dirige à gauche vers les CESARIS, les REALONS, à travers une plaine marécageuse et le passage de torrents qui effaçaient les gués à chaque crue printanière. Au-delà des ravins, la voie antique passait, avant d’arriver à CHORGES, auprès des constructions d’un château dont on voit encore quelques ruines au Nord-Ouest de la ville.
Voici une opinion qui ne fait pas l’unanimité. Honoré BOUCHE qui s’est fait l’historien de la Provence situe ICTODURUM au village d’AVANCON, et d’ANVILLE qui n’est jamais venu dans le pays se fait l’écho de cette opinion ne sachant pas combien le terrain est montagneux et accidenté entre AVANCON, GAP et CHORGES.
Une quatrième opinion celle de Joseph ROMAN exposée dans son dictionnaire topographique des Hautes-Alpes (1884) attribue la position d’ICTODURUM au VIEUX MANSE, commune de la Rochette. Cette localité est tout à fait en dehors des voies naturelles de communication entre VAPINCUM et CATURIGOMAGUS.
Ce tracé aurait fait dévier la voie de quatre kilomètres vers le Nord, avec une montée continue du côté de GAP de huit kilomètres, en terrain accidenté alors même qu’il existait des routes simples entre les deux villes. Bien sûr tous les chemins mènent à ROME mais pourquoi en compliquer l’itinéraire ? Joseph ROMAN reste ferme sur ses positions :« l’emplacement des stations romaines et le tracé des voies dans nos contrées offrent peu de difficulté et peuvent être déterminés avec une grande exactitude s’il y a quelques divergences d’opinion c’est faute par les auteurs qui ont traité de ces matières de connaître suffisamment la topographie du département des Hautes-Alpes ». Une remarque à la page vingt et un de son introduction aurait pu semer le doute en son esprit «Jusqu’au XVIIIe siècle, les principales routes des Alpes ont suivi le tracé des voies romaines auxquelles on n’avait fait subir qu’un petit nombre de modifications, nécessitées surtout par des changements intervenus dans le cours des rivières.» De plus, les évêques de GAP à cette époque ne passaient pas par le VIEUX-MANSE pour effectuer leurs visites pastorales ou leurs séjours en leur château de la BATIE-NEUVE.
Résumons nous : ICTODURUM est la BATIE pour Messieurs SIBOUR et BENONI. Il est le village d’AVANCON pour BOUCHE et d’ANVILLE. Il est le VIEUX MANSE pour Joseph ROMAN et Monsieur REY. Il est le terroir de la BATIE-NEUVE pour l’Abbé ALLEMAND. Que nous dit Monsieur NICOLLET qui s’est penché sur la question (BSEHA 1904).
Les documents anciens qui auraient parlé de cette station ont été détruits par les invasions du Ve au Xe siècle et on n’en trouve aucune mention dans les chartes du Moyen-âge. Donc on ignore l’endroit précis où elle se trouvait. Ernest DESJARDINS, dans sa géographie de la Gaule romaine (tome IV), place ICTODURUM à deux kilomètres de la BATIE-NEUVE, opinion confirmée par M. David MARTIN à la suite des trouvailles archéologiques à cette exacte distance de la BATIE-NEUVE entre les fermes de COMBEVINOUSE et les PARIS. Restons à des données concrètes : ni AVANCON, ni la BATIE-NEUVE, ni le VIEUX MANSE ne sont à 8889 mètres de GAP et autant de CHORGES. De plus AVANCON et le VIEUX MANSE sont en dehors de toute direction naturelle de la route qui relie les deux agglomérations principales.
Quel point géographique se situe à équidistance ? Le quartier des PARIS. Des recherches aux Archives communales et dans les archives notariales de M. Joseph ESCALLIER, notaire et maire de la BATIE-NEUVE, au XXe siècle, il ressort que les PARIS se situent à deux kilomètres de la BATIE-NEUVE, sur la droite du chemin menant à la BATIE-VIEILLE. Un plateau cultivé forme le centre de ce quartier, il s’adosse à un mamelon inculte, le SERRE-PONCHU, (mamelon pointu). Là, à fleur de terre, ont été trouvés de nombreux débris de tuiles sarrazines et de tuiles romaines, des restes de vases antiques. Il n’y a plus aujourd’hui (1917) qu’une seule ferme habitée en ce lieu, plusieurs «clapiers (tas de pierres) importants semblent attester l’existence d’une ancienne agglomération. Un chemin en partie dissimulé par la végétation marque la limite entre les communes d’AVANCON et celle de la BATIE-NEUVE où il figure au plan cadastral, Or la voie venant de GAP par le GRAND LARRA fait jonction avec le plateau des PERRINS et les PERRINS sont à mi-chemin entre GAP et CHORGES . Donc là se trouvait l’ ICTODURUM de la Table de PEUTINGER».
M. David MARTIN partage totalement ce point de vue « Il est certain que le quartier des PERRINS était habité depuis la plus haute antiquité. Des outils en silex ont été trouvés sur un tertre touchant le mamelon pointu ».
Enfin un groupe de chercheurs qui a voulu rester anonyme, a suivi la voie romaine « per alpem cottiam ».
Les étapes de cette voie passent par ICTODURUM qu’ils situent à MONTREVIOL.
Remettons nos pas dans les leurs. « ICTODURUM, MONTREVIOL est orienté à peu près exactement Est-Ouest. C’est un rectangle bâtard bordé au Nord par la route de CHORGES à MONTREVIOL, au Sud par une déclivité qui s’accentue à une quinzaine de mètres de la voie romaine ; à l’Ouest par un talus. Le site a environ soixante-dix mètres de long Est-Ouest sur quarante Nord-Sud. A droite de la voie un mur arasé de dix-huit mètres, un angle droit, une tour de six mètres de diamètre, une porte de trois mètres cinquante, un mur courbe longeant la grande route sur quarante-deux kilomètres, terminé par une tour engagée de six mètres de diamètre, un angle droit, un mur de vingt-deux mètres sensiblement parallèle à celui qui à été signalé à droite de la voie entrant. Sur la partie Sud, très remaniée et occupé par deux maisons, on ne peut signaler qu’un aqueduc assez important – il y a une source. »
Nos chercheurs poursuivent : « Il y a toute une littérature sur ICTODURUM. L’opinion de M. ROMAN qui y voit une station intermédiaire protégeant le croisement de la petite « viola » (voie) filait sur le CHAMPSAUR semble exacte. Nous avons voulu la repérer. Elle part de MONTREVIOL par l’antique porte de trois mètres cinquante ouverte au Nord, monte tout droit, visible par places, passe par le col des SAGNAS et toujours visible vient aboutir à la Croix de SOURON dans le territoire d’ANCELLE. A cet endroit aboutissent quatre chemins antiques : celui qui vient de MANSE par Pied de PUY, celui qui vient de la TROUEE à l’Est du pic de la ROCHETTE, la viola du col des SAGNAS, le chemin du COLLET. Ce dernier est certainement le chemin du haut Moyen-âge qui a remplacé la viola romaine. Il est contrôlé par le Château de FAUDON. De l’endroit présumé. par lequel la voie sort d’ICTODURUM, celle-ci file en ligne droite vers la Rochette, elle frôle ce lieu, franchit la route actuelle et aboutit aux GUERINS, très visible. Elle doit continuer vers le torrent de la COMBE qui passe par PONT SARRAZIN et longer cette combe en direction de GAP dont on voit distinctement les maisons. Elle longe aussi le château d’ORIAC, franchit la rivière COMBE au gué de la ferme RAUFFE. De là elle parait au FOREST de ROMETTE, puis à ROMETTE.
De ce lieu on peut la suivre sans peine par le FOREST d’ANTRAIS et la gare de GAP .. De MONTREVIOL à GAP nous avons relevé au curvimètre une distance de neuf kilomètres cent. »
« Le site d’ICTODURUM a été utilisé par les comtes de Provence et les évêques de GAP comme château fort. Le château de MONTREVIOL semble avoir été détruit avec TOURNEFORT vers 1255. Il est inutile de dire qu’il serait intéressant de faire des fouilles à MONTREVIOL .Quand et comment ICTODURUM a-t-il été détruit ? Il existait encore à la fin du IVe siècle puisque la Table de PEUTINGER le mentionne. Ce que ne font plus les documents du Moyen-âge. Donc on peut situer sa disparition pendant la période des invasions du Ve au Xe siècle. Les Alpes connurent celles des Lombards et des Saxons au VIe et celles des Sarrazins au Xe siècle.
En 575 les Lombards franchissent les Alpes et avancent jusqu’à RIEZ. C’était le moment des moissons, ils prennent le blé, pillent et brûlent tout sur leur passage. Quelques années après, nouvelle pénétration lombarde et combats très meurtriers près d’EMBRUN. Les Sarrazins pratiquent la politique de la terre brûlée dans l’Embrunais. Le Pape Victor II les met au premier rang des fléaux dont le diocèse est frappé. ICTODURUM situé sur le passage des envahisseurs fut certainement saccagé, brûlé à chaque passage des pillards. Les habitants découragés d’avoir toujours à reconstruire cherchèrent refuge en un endroit plus sûr, probablement La BATIE ». Tome 4 des Archives de l’Abbé GUILLAUME p. 43
Les documents anciens qui auraient parlé de cette station ont été détruits par les invasions du Ve et Xe siècle et on n’en trouve aucune mention dans les chartes du Moyen-Age.
Pour clore la controverse, LA BATIE-NEUVE ne serait pas ICTODURUM, mais la localisation admise aujourd’hui comme la plus probable est le quartier des Perrins ; on peut y voir en bordure de route un panneau l’attestant.