Le Barri
La configuration du village et son histoire
Au XIIIe siècle, le donjon de la Bâtie-Neuve, tout récemment construit, offre une nouvelle sécurité ; le village vient se grouper à ses pieds et s’entoure de remparts pour parfaire sa protection au sud : c’est le BARRI. Ce chemin de ronde enfermant le village est bordé par une muraille : barrium et fortificatio ont le même sens au Moyen-Age. Monument dont MM Jean ROMAN et VOLLAIRE nous font la description : « Notre village n’est pas le seul à posséder un tel mur d’enceinte, mais hélas, toutes ces murailles ont été construites sans soin et non appareillées, même sans fondation. On dit qu’une construction est appareillée lorsque les pierres de taille s’emboîtent très exactement les uns dans les autres avec des joints les plus fins possible, ce qui exclut l’emploi du mortier. Au contraire une construction composée de pierres non taillées, dont les joints et les vides sont comblés par du mortier est qualifiée de simplement maçonnée. M. VOLLAIRE considère que ces Barris, nombreux dans les Hautes-Alpes, étaient bien plus une barrière douanière ou sanitaire qu’une protection contre les bandes armées qui couraient le pays. En effet ils ne mesuraient le plus souvent qu’un mètre cinquante d’épaisseur, c’est-à-dire qu’avec une douzaine de coups de bélier, ils auraient été mis à mal. Les villages étaient mieux défendus par leurs châteaux. C’est tout à fait le cas de La Bâtie-Neuve et ceci justifie que nous n’ayons plus aucun reste de notre enceinte moyenâgeuse, sinon son tracé, petit chemin ensoleillé sur lequel s’ouvrent tous les jardins des maisons situées dans la grande rue, hâvre de paix et de promenade « à la fraîche ».
Le « Barri »
La tranquillité de ce lieu fut cependant troublée, le 15 août 1792. En effet Antoine ROSTAIN de BATAILLE, sieur de Fontclaire et coseigneur d’Ancelle poursuivi par les Jacobins crut trouver refuge dans le jardin d’une de ces maisons dont la porte était entrouverte, il se réfugia sous des échalas mais fut débusqué et massacré sur place. Sa famille émigra. Un fait pittoresque, bien antérieur s’attache à cette famille : ARTAUD et PIERRE ROSTAIN furent chargés en 1184 de négocier la paix à la suite d’une rébellion gapençaise. Un agent du comte d’alors, le chevalier Bertrand CHAUSSEVILAIN, fut pris à partie, lors des entrevues, par les meneurs de la sédition. Il chercha refuge dans l’Eglise Saint-André de Gap, se cacha sous l’autel, mais sans aucun respect pour ce lieu saint, les Gapençais l’assassinèrent, traînèrent son corps dehors où il fut mis en pièces à coups de glaive par les chevaliers, à coups de bâtons par les bourgeois, à coups de pierres par le peuple. Après quoi, pour mettre le comble à l’ignominie de cet acte, le cheval de guerre du malheureux supplicié, fut également mis à mort. Il s’en suivit que les meurtriers furent frappés d’un exil perpétuel et que le peuple de Gap dut élever dans la cité une Tour et verser 40 000 sous. Avec droit, pour le comte, de maintenir en prison jusqu’au paiement de la somme, trente chevaliers ou bourgeois, remplacés par d’autres en cas de décès. (BSEHA 1908).
Au XVIIIe siècle, la famille ROSTAIN DE BATAILLE s’était liée à une famille bourgeoise de la Bâtie-Neuve : les DIDIER. Grégoire Didier avait épousé Marie-Rose Rostain dont il eut quatre enfants, trois filles et un fils : Rose née en 1752, Marguerite-Elisabeth née en 1753, Marie-Elisabeth en 1754 qui épousa Jean BLANC, autre notable bastidon et Jean-Joseph né en 1756. Le 15 juillet 1765, Marie-Rose mourut en couches, elle avait 36 ans. Son époux lui survécut jusqu’en 1789, il avait alors 82 ans. Jean-Joseph BLANC acheta au mois de prairial an IV, le pré dans lequel était installée la fabrique de faïence bastidonne, dont il sera parlé plus après, terre appartenant à la famille d’AGOULT, qui avait émigré en 1783 et dont les biens furent vendus comme biens nationaux.
Le Bourg présente, à sa création, la forme d’une huître. La rue principale serait le chemin de l’antique voie romaine dont elle conserverait les sinuosités. Elle s’ornerait, en son milieu, d’une petite place, une superbe fontaine en occupait le centre, autour de laquelle les habitants se groupaient pour discuter des événements du jour. Elle a été supprimée au XXe siècle pour faciliter la circulation automobile. Ont disparu en même temps les écuries du village qui y a gagné en propreté.
L’histoire du village se confond, le plus souvent avec celle de son château. Toutefois nous pouvons évoquer de nombreux évènements dramatiques indépendants, par exemple les CONTAGIONS, comme les appelaient les plus anciens textes les relatant : épidémies de peste noire, en 1348 et 1349 : « on en mourait dans les cinq jours, les gens décédaient sans serviteurs et étaient ensevelis sans prêtre, la charité était morte et l’espérance abattue». D’ailleurs le Royaume, entièrement frappé par ce mal y perdit un tiers de sa population.
Personne n’échappait au fléau : M.Philippe LIGONESCHE, nous transmet ce texte, extrait du registre paroissial de la Bâtie-Neuve : «M.Jean-Joseph DAVIN, notaire et châtelain du lieu, âgé d’environ quarante ans, muni des sacrements de l’église, est décédé le 15 aout 1790 à l’aube du jour. Il a été inhumé le même jour, à l’entrée de la nuit, à la réquisition de ses parents effrayés par la maladie qui avait causé sa mort et les grandes chaleurs qui n’ont pas permis que l’on différa davantage son enterrement au cimetière de Saint Pancrace ».
C’est dire la peur ressentie, à toute époque par les survivants. En 1854, le choléra fit 28 victimes à la Bâtie-Neuve et ensuite la grippe espagnole de 1918 fit 1250 morts dans le département des Hautes-Alpes. Vers 1535 une autre calamité, décrite par l’historien Nicolas CHORIER, causa ruine et misère : des tremblements de terre secouèrent la région. Il s’en produisit à nouveau en 1808-1854-1863-1866 et 1938. Et notre liste n’est pas close ! Les invasions et les guerres coûtèrent cher à la Bâtie-Neuve. Incendiée par le Duc de Savoie en 1692 alors que ses troupes l’avaient au préalable ravagée, elle connut à nouveau le feu en 1737 qui causa des dommages plus sévères puisque seule l’Eglise et deux maisons du Bourg en réchappèrent. Quand il ne s’agissait pas de guerres politiques, la guerre pouvait être engendrée par les haines religieuses. Ce fut le cas au XVIe siècle. Le Gapençais fut très vite acquis à la Réforme, prêchée par Guillaume FAREL. Guillaume Farel (1489-1565) est né à Gap. Après avoir étudié les langues anciennes et la philosophie à Paris, il embrassa la Reforme. Lors d’un voyage, en son pays natal, il prêcha et obtint de nombreuses conversions, mais suspect d’hérésie il abandonna la France pour se réfugier à Berne en 1524. Il établit la Réforme à Neufchatel en 1530, puis à Genève en 1535, où il décida CALVIN à se fixer, il rallia tous les Vaudois, prêcha à Metz, Montigny et Neuchâtel pendant dix-huit ans. Dès 1562, il revint en Dauphiné où il connut de grands succès populaires. Poursuivi à nouveau pour ses idées, il fut emprisonné, s’évada et se réfugia à Die, ne revint à Gap que lorsque les Réformés eurent pris la ville. L’évêque de Gap, Gabriel de CLERMONT, en habits sacerdotaux, vint suivre ses sermons, abjura « foulant aux pieds la crosse et la mitre » et se maria vers 1595. Guillaume Farel, à nouveau expulsé, repartit pour Neuchâtel où il mourut en 1565 (Georges DIOQUE Dict ; biog. des H.A). Une plaque est apposée sur le mur de sa maison natale à Gap. Guillaume Farel a donc été prophète en son pays, ce qui est extraordinaire, nous dit Georges de MANTEYER.
Guillaume FAREL
En 1579, LESDIGUIERES se rend maître de Gap. En 1585, année pluvieuse et épidémique, il part pour « dépuceler la pucelle du Dauphiné ». Cette pucelle est Embrun. Il prend la ville, mais ne peut, comme il le souhaitait, entrer à cheval dans la Basilique. En 1587, il marche contre Guillestre, avec succès. En 1588, avec 1200 hommes et 300 cavaliers, il parcourt toute la vallée de la Durance, prend Briançon et Barcelonnette au Duc de Savoie. Ces guerres coûtent très cher aux populations traversées, obligées de ravitailler, héberger les troupes et de verser des subsides pour l’armement. La Bâtie-Neuve est exsangue, le pays connaît la famine.
Et s’ajoute encore un autre fléau : la fiscalité de l’époque organisée au bénéfice des comtes et des évêques. Les comtes, le plus souvent absents de leurs terres, se faisaient représenter par des mandataires (dont le mandat était fréquemment héréditaire) chargés de percevoir les impôts. Sur le produit qu’ils en retiraient, ils se rémunéraient, pourvoyaient aux besoins des services publics et faisaient parvenir le surplus au Comte, lorsqu’il y avait surplus ! La corvée permettait l’entretien des chemins, assurait la garde militaire, le service des transports de bois, de fourrage, d’aliments, l’entretien des bâtiments seigneuriaux le service de l’exploitation agricole, le service des commissions, le secours en cas d’incendie, le port des lettres, la garde des moissons…
On faisait une différence entre les corvées réelles qui frappaient le fonds, la terre, les corvées publiques dues au souverain, les corvées personnelles, dues par les habitants d’un lieu, comme les manœuvres, les corvées particulières dues au seigneur et les corvées à merci qui dépendaient de la volonté du seigneur à un moment précis. Elles furent toutes abolies par l’Assemblée Constituante en 1789, et nous dit MIRABEAU «par l’abolition des corvées, l’Assemblée a porté la joie et l’espérance dans le cœur des habitants de la campagne».
Au point de vue foncier, il y avait peu d’impôt perçu sur les propriétaires, mais lors des transmissions d’immeubles, c’est l’acquéreur qui payait une taxe pouvant s’élever au tiers du prix de son achat : c’était le droit de LODS. Il est vrai que les transmissions immobilières étaient peu fréquentes. Une autre source de revenus provenait de l’administration de la Justice : pour des causes fort graves c’était la peine capitale et la confiscation des biens du condamné, pour les causes les plus courantes, on faisait peu usage de la prison, préférant prononcer des amendes attribuées par le juge au Comte ou à ses représentants. Enfin la meilleure source de revenus était celle provenant des droits de circulation sur les marchandises er sur les denrées, appelées les LEYDES. Les comtes et les évêques s’en partageaient le montant, moitié-moitié ou 2/3-1/3
«le glaive et la crosse étant étroitement liés», ce qui ne les empêchaient pas de se menacer souvent : les bailles du comte et les bailles de l’évêque ne vivaient pas en bonne intelligence, chacun visant d’abord son intérêt personnel.
L’installation des communes va modifier ce système écrasant. Chaque année vont être élus les titulaires des fonctions administratives : le viguier comme les consuls. La commune hérite des droits de justice et de lods ; les viguiers, bailes héréditaires se retirent à la campagne et conservent leurs droits de Leyde et d’entretien des chemins. La situation était toujours complexe. Elle l’était aussi dans le domaine épiscopal. En 1184 se constitua l’évêché de Gap comprenant outre la ville, la Bâtie-Neuve, la Batie-Vieille, et Rambaud, le château de Montreviol, le château de Tournefort, pour ne citer que les lieux qui nous concernent directement. L’évêque échappait ainsi à la dépendance comtale pour cette partie du territoire et il avait le droit de lever impôt.
Nous n’en avons pas fini ! Autre impôt féodal : LA TAILLE, impôt direct versé au bénéfice du Roi ; elle n’était au début, « qu’extraordinaire », c’est-à-dire qu’elle n’avait pas de régularité et couvrait souvent les dépenses de guerre, mais les guerres étaient si fréquentes ! Elle ne devint permanente qu’après la Guerre de Cent Ans. Elle était due par les serfs et les roturiers, basée sur le revenu présumé de chacun d’eux, fixée par le Roi dans sa somme totale, à charge pour les autorités locales de faire rentrer la quote-part qui leur était demandée. Cet impôt à la charge unique des campagnes, fut l’objet de fréquents recours en appel, mais ne fut supprimé qu’à la Révolution. L’abbé GUILLAUME, dans l’inventaire, relève de nombreuses fois les appels des communes de la Bâtie-Neuve et de Rambaud qui étaient taxées du même montant, et ne pouvaient s’en acquitter. L’un des recours s’ouvrit en 1339 et ne trouva sa conclusion qu’en 1597 ! Un autre procès, intenté par les dames de LOUVAT, propriétaires du château bastidon, à propos des droits usagers des habitants du village sur les bois, ne trouva sa solution qu’à la Révolution, soit quarante ans plus tard… et nous nous plaignons des lenteurs de notre justice contemporaine !
L’endettement paysan constitue l’aspect le plus saisissant de la conjoncture sociale au XVIe siècle et ce fait ne va pas s’améliorer au XVIIe puisque s’y ajoutent la CAPITATION et le DIXIEME. Les Archives départementales de la Révolution (série L.) nous livrent des tableaux saisissants de l’état du département à cette époque. On peut lire, à la date du 3 août 1791, cette adresse à l’Assemblée Nationale : « le Département des Hautes-Alpes, hérissé de montagnes arides et incultes, coupé de torrents impétueux qui aggravent et déchirent les vallons, situé dans une région de glaces et de frimas, vient encore vous présenter le tableau de sa triste situation et de ses besoins continuels, et solliciter la justice et la bienveillance de l’Assemblée Nationale. Mais fidèles, les habitants de la contrée la plus disgraciée luttent sans cesse contre l’intempérie des saisons, la violence des eaux des torrents qui emportent les meilleures terres.
La construction de digues semble indispensable, nous avons des routes ouvertes depuis vingt à trente ans qui restent encre impraticables…».
Le 10 mars 1793, demande d’un secours de 500 000 livres pour lutter contre la famine du peuple alpin.
En 1794, la récolte a été complètement nulle dans deux des districts des Hautes-Alpes et très modique dans les deux autres (quatre districts divisent le département : Gap, Briançon, Embrun, et Serres). Tous les fléaux des saisons ont semblé conspirer contre les récoltes : la grêle, la gelée, la rouille, la sécheresse, seules restent des immondices pour les semences, des orages terribles ont apporté la désolation dans les campagnes, des maisons ont été enlevées par les eaux, des troupeaux entraînés du sommet des montagnes ; des champs entiers n’offrent plus que de vastes ravins. En 1795, la disette est à son comble et les troupes qui vont livrer bataille en Italie par le mont Genèvre, prélèvent par la force les rares provisions des campagnards. Il est vrai que les caisses et les magasins militaires sont vides en permanence. Cet état est devenu constant.
Le 12 mars 1800, le contingent du département des Hautes-Alpes est de 30 000 hommes. BONTOUX signale : «A mon arrivée, je trouve tous les services dans le plus grand état de souffrance. Ce pays est un passage presque continuel de troupes et il n’y a aucun fond destiné aux étapes et aux convois militaires, ni fournisseurs auxquels je puisse m’adresser. L’ancienne administration s’est vue contrainte de violer les caisses publiques pour empêcher les soldats de mourir de besoin. Dans ce moment c’est dans l’humanité des habitants que les militaires trouvent leur plus grande ressource, mais les fournitures considérables faites pour l’armée d’Italie, ont totalement épuisé ce département ».
En 1796, François VALLON-CORSE se demande si la Révolution a été plus favorable aux citoyens des Alpes que l’ancien régime. Hélas, non ! dit-il : «qui pourrait peindre la misère de ce pays, qui depuis six ans n’a pas eu de récoltes, qui a été livré aux consommations de l’armée qui depuis quatre ans se déplace et borde ses frontières. Lorsque nous jetons un regard autour de nous, nous n’y voyons que la misère».
Même constat en 1798 : «Hélas ! à ce seul nom des Hautes-Alpes vous pressentez déjà une partie des désastres de cette contrée. Il n’y existe aucune richesse nobiliaire, encore moins de luxe ; or à raison des bases fiscales suivies jusqu’alors, ce département supporte pour tout impôt une contribution plus forte proportionnellement à celle des départements connus pour leurs richesses et leur industrie active.
Or on n’imagine pas qu’il existe sous la République, un département où les habitants soient plus doux, plus humains, plus affables qu’en cette contrée. Ils y ont vraiment bien grand mérite ! »
Le 30 octobre 1799, le sieur PROVENSAL est nommé juge de paix au canton de la Bâtie-Neuve pour y organiser la répartition des nourritures, le logement des bêtes de somme de l’armée qui vient à la frontière italienne de subir de graves revers. Or, dit-il les communes ont entièrement épuisé leurs moyens et l’armée manque de tout, la désertion est effrayante et si l’Administration ne vient pas à son secours, ce département est exposé aux plus grands malheurs. Le brigandage en est un. Des bandes de voleurs parcourent en armes les forêts, les grandes routes, les campagnes. Ils détroussent les voyageurs, pillent les marchands, les caisses publiques, lèvent des subsistances chez les modestes cultivateurs et souvent pour les obtenir, se livrent aux actes de la plus horrible cruauté. Personne n’est épargné . Après la mise sous séquestre des biens du Comte d’AGOULT à la Bâtie-Neuve et de son mobilier, son épouse se voit réduite le 23 décembre 1793, à demander un secours : « dans l’impossibilité où elle se trouve, elle et sa belle mère et ses enfants ; de subsister ».
Mais nouvelle reconnaissance du grand civisme des habitants des Hautes- Alpes : « Nous devons peut-être la conservation de nos frontières aux incalculables sacrifices en tout genre de nos administrés qui pourtant, aujourd’hui manquent de tout. Ils attendent avec un respect religieux que le Gouvernement leur vienne en aide et les préserve de la famine qui les menace ». Signé BONTOUX qui ajoute : « Depuis l’époque de la Révolution, ce département a constamment fait preuve du civisme le plus parfait. Admirable pays, dont le ministre de l’Intérieur déplore de plus, les ravages occasionnés par les CHEVRES ! Elles ont déjà été proscrites pour ces mêmes raisons, des Basses Alpes, par décret ».
Quelques prêtres réfractaires sèment aussi le désordre dans les âmes, ils osent poursuivre leurs prêches «alors qu’ils sont les ennemis les plus dangereux de la Révolution». BONTOUX informe le ministre de la police qu’une trentaine de prêtres insermentés, dont les noms lui ont été livrés, se font passer pour des martyrs et notamment au Laus, à Valserres. A St-Etienne, un abbé Jouvent dit la messe de grand matin, ce qui engendre beaucoup de troubles en raison du fanatisme délirant de ce prêtre. Mais, le même BONTOUX sait se montrer charitable : il fait allouer à Anne-Christine CEAS, ex-religieuse défroquée la somme de 87 francs en raison de la misère affreuse dans laquelle elle se trouve depuis qu’elle ne vit plus en son couvent !
La Municipalité de La Bâtie-Neuve, le 4 avril 1796, dénonce Jean RAMBAUD, Ministre du Culte, soupçonné d’avoir exercé ses fonctions sans en avoir fait la déclaration. « Ce prêtre imprègne les âmes des miasmes pestilentiels du fanatisme et ne leur présente que sous les couleurs les plus hideuses, la liberté et le gouvernement républicain ».
En 1797 est ordonnée la création d’un livre de bienfaisance nationale afin d’arriver à l’extinction de la mendicité. Chaque commune devra établir un état de la population agricole à qui des semences pourront être allouées car les produits de ce sol, légumes, vins, fourrage, fruits sont d’excellente qualité quand ils ne sont pas contrariés par les fléaux de la nature. De plus les Hautes-Alpes produisent des « simples » que les savants d’Europe aiment à venir découvrir et dont la botanique s’est enrichie. Il y a aussi de belles forêts, plusieurs mines de plomb et d’argent, d’excellentes eaux minérales, une fonderie d’acier, une très belle fabrique de cristaux. Il convient donc, puisque les habitants ont toujours montré une bonne conduite, des principes de modération, de la sagesse, de donner de la publicité à ces vertus et d’aider le département à retrouver une vie décente. De grands travaux pourraient matérialiser ce noble but. Ordre est donné de réparer la route de La Bâtie-Neuve à Gap en 1795. Le Pont Sarrazin entre ces deux localités sera édifié en 1806.
Avec soulagement, nos hauts alpins vont traverser le Consulat et l’Empire, mais pour bien peu de temps car à nouveau, les années 1846 et 1847 sont très mauvaises pour la campagne, la crise agricole fait renaître la disette et l’on constate une dépopulation dans le Gapençais et dans les villages les plus isolés. S’organise alors, l’émigration en hiver, alors que les travaux sont terminés à la campagne, les hommes vont se louer à Marseille, à Turin, à Gènes, puis s’organise aussi l’émigration d’été : les fils des familles les plus nombreuses vont faire les moissons, les vendanges en Provence et en Dauphiné, avant de partir pour bien plus loin et parfois pour toujours au Mexique, comme les Barcelonnettes, en Amérique du Sud et en Australie et en Californie comme les Champsaurins et certains bastidons. Certains d’entre eux, faisant preuve d’un grand amour de leur pays, reviendront participer à la Guerre de 1914-18.
Ils répondaient à la mobilisation générale. Normalement, dans chaque canton, le contingent était fourni par tirage au sort. Chaque garçon de vingt ans prenait dans l’urne un numéro, les premiers inscrits sur les listes étaient ceux qui tiraient le numéro le plus bas. Les conscrits partaient sous les drapeaux pour sept ans ! Aussi, essayaient-ils d’avoir « un bon numéro », les plus riches s’achetaient un remplaçant, les autres avaient recours à des moyens « surnaturels », nous dit Henri THIVOT, comme coucher la veille du tirage au sort dans le lit d’un homme qui avait eu un bon numéro, ou porter lors du tirage, une chemise bénite, ou, en plongeant la main dans l’urne, regarder le bout de son pied droit, ou, s’attacher à l’un de ses vêtements l’anneau nuptial d’une veuve, ou, garder en main un lézard sans l’étouffer, ou, se confesser en revêtant un mantelet de femme… Tous ces moyens se voulaient infaillibles. Le soir du tirage, les femmes du bourg attendaient le retour des conscrits ; les bons numéros brandissaient leur chapeau orné d’un ruban blanc, les autres, plus tristes, pensaient aux sept années qui les éloigneraient de leur village et de leurs familles.
Entre les deux guerres, la vie politique du département n’a pas d’orientation bien définie, ainsi que le relève M.GOGUEL. «C’est en premier lieu, la sensation d’avoir été lésé par la nature, d’avoir été oublié par l’Etat qui domine». Ce complexe de pauvreté est un des soutiens ardents pour la Gauche. Pourtant, il était bien d’accueillir aussi des hommes riches, venant de Paris de préférence, Ministres si possible, à qui l’on réclamera comme un dû aides et subventions. C’est faire allusion aux campagnes électorales dans le département, de Maurice DE ROTHCHILD, de Paul PEYTRAL, de Maurice PETSCHE, du socialiste LAFFONT, du cartel des gauches, et à la victoire du Front Populaire en 1936 avec le socialiste MICHARD-PELISSIER. De 1914 à 1934, le Conseil général sera dominé par une majorité de républicains de gauche, tandis qu’à partir de 1935, la majorité passera aux radicaux, et aux radicaux socialistes. Le parti communiste fera acte de candidature pour la première fois en 1936, son influence grandissante lui fera concurrencer le parti socialiste.
Début 1940, Paul REYNAUD, parlementaire et Ministre bas-alpin, est à la tête du gouvermenent. Les Hautes-Alpes font partie de la zone libre. En 1942, le département est occupé par les troupes allemandes. En remplacement du Conseil général se forme un Conseil départemental dont le Président est le Sénateur Maurice TOY-RIONT. Dans le même temps, le service du travail obligatoire qui envoie les jeunes hommes en Allemagne est instauré. Les réfractaires vont se cacher dans l’arrière pays, et fournir les premiers effectifs du maquis, qui aidés des troupes américaines, libèreront Gap le 20 août 1944.
Au lendemain de la Libération, la gauche connaît une forte poussée dans le pays, le MRP s’y implante en 1946. Après la démission du Général De Gaulle, il faut une nouvelle constitution à la France. Elle est adoptée à une faible majorité, dans les Hautes-Alpes, les « oui » l’emportent mais avec 49% d’abstention. MM PETSCHE et JULIAN sont réélus. En 1951, le premier est nommé Ministre des Finances, le second est battu par un candidat MRP, Monsieur AUBIN. Maurice PETSCHE décède en 1956, année où M. JULIAN retrouve son siège. A cette date, les Hautes-Alpes sont incorporées à la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Après avoir été longtemps tourné vers Grenoble, ce Département va regarder maintenant vers Marseille et le Midi » (P. BOLLE). Pour illustrer ces propos, nous plaçons en annexe quelques proclamations de foi et des bulletins de candidats aux élections. Bien que très incomplète, cette documentation donnera la « température » de la vie politique dans le département et dans le canton de La Bâtie-Neuve.
Rentrons à nouveau dans notre village pour admirer tout d’abord son église.