Saint-Pancrace :
église, hôpital, maison fermière
La première implantation
De la période gallo-romaine jusqu’au XIe siècle le village est situé au lieu dit SAINT-PANCRACE. Nous allons faire largement référence aux travaux de l’Abbé ALLEMAND archiviste à GAP au XIXe siècle, qui fait autorité en la matière pour justifier cette implantation.
SAINT-PANCRACE est sur le lieu de passage de la via DOMITIA qui allait de MILAN à ARLES. A ce point un premier embranchement se faisait en direction de GRENOBLE par le Col de MOISSIERE (1589 m), un deuxième allait rejoindre la via de GAP et le troisième la vallée de l’AVANCE du côté du Midi. Les trois voies antiques qui se croisaient là, justifiaient l’établissement d’un lieu d’habitation.
Voici avec plus de détails les précisions que nous apporte, en 1917, notre historien : un fragment de chemin, bordé de buissons sur la pente nord de la route nationale, en face de MONGARDIN, marque le tracé de la voie Domitia, au dessous de Chorges et avant d’arriver à Saint-Pancrace. Si cette voie n’a pas laissé de Saint-Pancrace à GAP, de plus nombreux vestiges de son tracé, c’est à cause d’une trombe d’eau qui survint en 1668 et aggrava la pente de la montagne (archives communales de LA BATIE-NEUVE).
«Le lieu dit St-PANCRACE était le point de partage de la voie DOMITIA en trois branches. L’une, la principale, descendait sur GAP du côté du Nord, en suivant le bas de la montagne. Nous en avons pour preuve un tronçon bordé de haies et s’embranchant en aval de St-PANCRACE sur le chemin actuel, tronçon qui ne peut s’expliquer que comme un reste de l’ancienne voie. C’est ensuite un autre fragment découvert derrière la maison du domaine de la FAURIE (forge) appartenant à Madame Léon PINET de MANTEYER : il était pavé sur trois mètres de largeur. C’est enfin l’hôpital de St-PANCRACE : en effet si la voie DOMITIA n’avait pas passé au nord, mais au sud de la route nationale actuelle, cet hôpital n’aurait pas été construit au Nord mais au Midi. L’autre branche se dirigeait vers le CHAMPSAUR en montant par les AUBINS, et on en trouve encore au-dessous de ce hameau, un reste de 100 mètres environ ; ce tronçon est appelé chemin ferré, nom qui désigne partout où on le rencontre une route romaine ; il est pavé avec soin et mesure deux mètres de largeur. La troisième branche descendait vers le Sud en passant par le PRE-LA-CHARRIERE, allant rejoindre la vallée de la VANCE en croisant le chemin d’AVANCON à GAP. Ce mot de charrière qui veut dire rue, chemin, rappelle toujours une ancienne voie. Je dois ajouter, pour être complet, nous dit notre archiviste, qu’un ancien chemin allant d’AVANCON à GAP et passant par le vallon de la BATIE – SAINT-ROMAN, longeait le territoire de la BATIE-NEUVE au Sud. Le chemin a été pris par plusieurs pour la voie DOMITIA, ce qui a donné lieu à des erreurs de plus d’un genre.» BSEHA 1917.
Notre archiviste poursuit : «Si le village de Saint-Pancrace était bien le lieu de passage de la via Domitia, il devenait par le fait, la station que la Table de PEUTINGER désigne comme étant ICTODURUM, situé entre VAPINCUM (Gap) et CATURIGOMAGUS (Chorges), à six miles de l’une et de l’autre de ces localités. Expliquons ce qu’il faut entendre par table de Peutinger : c’est une carte des voies romaines, rédigée vers le IIIe siècle, conservée dans une copie de 1264, perdue et retrouvée à Worms par Conrad MEYSSEL qui en donna des fragments à Peutinger en 1507 . La carte mesure 6,82 mètres sur 0,34 mètre. Elle est conservée à la Hofbibliothek de Vienne dans sa version du XIIIe siècle, elle est l’œuvre d’un moine anonyme, appelé le moine de Colmar, elle est éditée à Leipzig en 1824, par MANNERT, puis à Paris en 1869 et 1876 par DESJARDINS, puis à Ratisbonne en 1888, seulement dans ses deux tiers, par MILLER » (Nouveau dictionnaire Larousse, tome 6).
Revenons à Ictodurum : le problème de la localisation de cette station a soulevé de très nombreuses controverses. Même l’étymologie de son nom est discutée : est-ce le nom du propriétaire du sol, est-ce un nom latin ? Non répond M.NICOLLET, mais un nom gaulois comme Eburodurum (Embrun), donc la fondation du site serait antérieure à la domination romaine dans les Hautes-Alpes.
M. d’ANVILLE nous propose «passage d’un cours d’eau» ou forteresse, château (durum) donc Ictodurum serait la forteresse d’Ictos, mais qui est Ictos ? Cherchons à quelle langue appartient ce mot. Au dialecte ligure ? Non, car Ictos est l’équivalent du mot latin citus ou citos. Pourquoi ne pas chercher ce nom propre dans la langue populaire des Alpes ? Ceux qu’intéresse cette étude linguistique fort savante pourront avec profit, se reporter au BSEHA de 1904.
L’Abbé ALLEMAND poursuit : « La table place Ictodurum à 6 miles, soit 8 889 m de CHORGES et de GAP. Il faut donc chercher un lieu qui corresponde à cette précision métrique ; il se situe, dit-il, en aval de St-PANCRACE, c’est le Couvent au quartier de la FAURIE, là se trouvait au Moyen-Age une maison fermière appartenant à des religieuses dominicaines de GAP ».
L’Abbé GUILLAUME minimise l’importance d’ICTODURUM «cette station ne devait avoir qu’une importance inférieure à St-PANCRACE, elle n’était probablement représentée que par une hôtellerie sur la route et quelques maisons, au plus, qui servaient de halte aux soldats dans leurs étapes entre GAP et CHORGES. Il ne faudrait pas voir dans cette station, comme on a pu le faire, l’antique chef-lieu de la BATIE-NEUVE. Il reste à nous demander si le nom d’ICTODURUM désignait la station seule, ou bien s’il désignait aussi le village de St-PANCRACE et l’ensemble du territoire. Je réponds qu’il faudrait désigner avant tout, ceux-ci et la station ensuite comme partie et dépendance de ces derniers – soit le Pays d’ICTODURUM. En sorte que le village de St-PANCRACE et la région auraient donné leur nom à la station. L’ancienne BATIE-NEUVE se serait donc appelée ICTODURUM, nom qu’elle devait quitter par la suite pour prendre ceux de TOURNEFORT et de la BATIE-NEUVE, nom du château construit par les évêques de GAP». BSEHA (1919).
La controverse n’est pas close. Mais revenons à St-PANCRACE. Si donc nous n’avons pas de certitude sur le nom de cette première implantation du village, à supposer qu’il ne soit pas celui de son saint patron, nous pouvons toutefois parfaitement décrire les bâtiments principaux qui y étaient implantés : une église et son cimetière ; un hôpital ; une maison fermière, et combien d’habitations ? Nous pouvons dire qu’elles devaient être un certain nombre en raison de l’importance du tas de pierres qui enserraient les ruines et des vestiges de tuiles qui les couvraient dont on a découvert des débris sur le site. Au XIVe siècle il subsistait encore quelques maisons, puisque l’évêque de Gap, Jacques Arnaud de MONTAUBAN et les consuls de la Bâtie-Neuve procédèrent à l’échange d’un terrain près l’église de Saint Pancrace contre une masure, située à coté de l’église et le pré de la chapellerie fondée par Hugues de ROSTAGNY (Archives Abbé Guillaume, tome 4).
L’église qui vient de faire l’objet d’une intelligente restauration est un joli bâtiment de vingt mètres de long sur sept mètres de large, sis au milieu du cimetière ce qui atteste de sa vocation de paroisse et non de chapelle. Elle aurait succédé à la plus ancienne chapelle de la région. Elle était ornée d’un autel baroque en bois doré placé au fond du chœur, d’une tribune qui couvrait le tiers de la nef, d’une cuve baptismale taillée dans la pierre de pays, d’un tombeau énorme monolithe utilisé maintenant comme pierre d’autel face au public et d’un tableau représentant Saint-PANCRACE, portant l’inscription «GUITTAR ping (it) Arnulphus ALLARD dedit 1648 » Tous ces objets peuvent toujours y être admirés.
Le chanoine Louis JACQUES, archiviste décrit ainsi cette peinture «Le tableau représentant St-PANCRACE est étonnant de fraîcheur et de coloris. Ce Saint martyrisé à quatorze ans, nous apparaît guérissant des estropiés, au nom de Dieu, dont l’action est symbolisée par un rayon lumineux venant des cieux. Devant lui quatre personnages aux costumes de 1650, sont l’intérêt majeur de la toile : une femme un genou à terre et le bras en écharpe supplie le Saint. Sa robe est de lignes sobres. Derrière elle un bourgeois en redingote et deux paysans dont l’un s’apprête à enlever son chapeau et l’autre a la jambe bandée soigneusement. Tous ces gens sont bien de chez nous, bien caractéristiques, hâlés par le soleil et le vent. C’est pris sur le vif, on croirait voir revivre nos anciens du XVIIe siècle. Ce jeune garçon qui guérit les paralytiques a un attribut supplémentaire en notre village ! Il préserve de la peur».
Aussi faisait-on passer les villageois sous le brancard qui supportait les reliques, le jour de sa fête, le 12 mai. Ils étaient alors délivrés de toute crainte. La procession ne se fait plus aujourd’hui mais les reliques trônent toujours dans le chœur de l’église où elles peuvent toujours être invoquées par les craintifs.
Il convient maintenant de raconter l’histoire de PANCRACE que Monsieur l’Abbé FAURE, curé un temps de VILLARD St-PANCRACE, un briançonnais, a résumé ainsi. PANCRACE naquit en PHRYGIE, dans la ville de SYNNADE vers 289. Son père appelé CLEONIE et sa mère CYRIADE, appartenaient tous deux à la plus illustre noblesse. Ils étaient païens et n’avaient que ce seul enfant. PANCRACE devint orphelin dès l’âge le plus tendre. Son père en mourant le recommanda à son oncle Denis, l’adjurant de prendre soin du patrimoine de son fils, comme des grandes richesses qu’il possédait en PHRYGIE, et de se montrer en toutes circonstances, plein de dévouement pour lui. Denis le lui promit, adopta le jeune PANCRACE et le chérit comme son propre fils.
Trois ans après Denis partit pour Rome emmenant PANCRACE avec sa parenté et ses serviteurs. Ils vinrent habiter près du Mont COELIUS, une villa qui lui appartenait. En ce moment, une violente persécution sévissait contre les chrétiens et le Pape St-MARCELLIN vint se cacher près de la maison de Denis. Doué du don de guérison, ce prélat s’était attiré une renommée universelle. Denis et PANCRACE ne tardèrent pas à entendre parler des prodiges que Dieu opérait. Ils vinrent rencontrer St-MARCELLIN, se jetèrent à ses pieds et lui demandèrent de les instruire de son Dieu. Vingt jours après il les baptisa et les fit chrétiens. La persécution se poursuivait, l’Empereur DIOCLETIEN ordonna de se saisir de tout homme réputé être chrétien. Le jeune PANCRACE fut arrêté. Ayant appris son illustre naissance, ses juges en parlèrent à l’Empereur qui ordonna de l’amener devant lui. Voyant sa jeunesse et sa beauté, DIOCLETIEN fut étonné qu’un jeune homme, promis à un si bel avenir, aimât mieux mourir que de sacrifier aux Dieux.
Il lui dit «Jeune homme, si j’en juge par votre visage vous avez à peine quinze ans et votre père CLEONIE était un de mes amis. Renoncez aux folies des chrétiens et revenez aux Dieux de vos pères. Si vous écoutez ma voix, j’augmenterai vos richesses et votre puissance, je vous garderai près de moi et vous considérerai comme mon fils. Si au contraire vous n’écoutez pas les paroles que vous suggère ma tendresse pour vous, je vous ferai mettre à mort et votre corps sera réduit en cendres pour que les chrétiens ne puissent pas vous honorer comme un de leurs martyrs».
PANCRACE répondit : «Mon Empereur et mon Maître en voyant un enfant de quatorze ans vous avez cru peut-être qu’il n’aurait ni de sagesse, ni la force des autres chrétiens, mais vous êtes dans l’erreur. Le Christ nous a donné un grand courage et vos juges ne nous inspirent aucune terreur. Je suis étonné, Seigneur, que vous n’ayez pas honte d’adorer de fausses divinités».
L’empereur, irrité de cette réponse, ordonna de lui trancher la tête. Son martyre eut lieu sur la voie AURELIA. Une pieuse femme nommée OCTAVIE enleva son corps pendant la nuit, l’embauma et l’ensevelit le 12 mai de l’an 303. Le culte de St-PANCRACE se répandit plus tard en Europe et en France. Le vaisseau qui apportait ses reliques aborda à MARSEILLE, qui, dès lors, l’invoqua comme d’autres localités en Provence : DIGNE, MANOSQUE, FORCALQUIER, puis dans les Hautes-Alpes : Villard, St-PANCRACE, Bénévent en CHAMPSAUR, et LA BATIE-NEUVE. Là, un buste du Saint renferme un os de son bras et il est vénéré le dimanche suivant le 12 du mois de mai dans la chapelle du cimetière. Cette chapelle était autrefois lieu de pèlerinage, on voyait encore au début du XXe siècle derrière l’autel les béquilles et les cannes des malades venus demander leur guérison.
Le deuxième bâtiment du village était l’hôpital. L’hôpital se situait devant l’église, contre le cimetière. Il portait aussi le nom de St-PANCRACE et aurait été fondé par un chevalier de Malte. Son origine se perd dans la nuit du Moyen-Age, or comme les maisons hospitalières s’élevaient d’ordinaire sur le parcours des voies romaines, nous pourrions même faire remonter son origine à l’époque gallo-romaine ! L’hôpital a peut-être bénéficié de la surveillance et de la compétence médicale des ANTONINS.
Les ANTONINS, ordre hospitalier qui, de la fin du XIe jusqu’au début du XIIIe siècle, a fondé et dirigé de très nombreux hôpitaux dans notre région, notamment ceux de GAP, CHAMBERY, BESANCON et même à ROME à l’appel du Pape Nicolas IV. En 1478, ils géraient 370 établissements, commanderies, prieurés et «maisons de l’aumône» (les monts de piété). Aujourd’hui, l’Abbaye de St-ANTOINE près de St-MARCELLIN en Isère est dépositaire des reliques du Saint, l’ermite dit l’Egyptien. C’est un édifice imposant qui conserve aussi le trésor des Augustins et qui s’anime chaque été d’un spectacle retraçant son histoire.
Ils y appliquaient des méthodes modernes comme l’amputation en cas de gangrène, mais la religion leur faisait défense d’ouvrir le corps humain, don de Dieu ; aussi en chargeaient-ils les barbiers auxquels ils fournissaient des instruments appropriés.
Au XIVe siècle leur ordre accueillit de nombreux Templiers, de retour d’Orient, qui leur apportèrent les connaissances médicales qu’ils avaient acquises auprès des chirurgiens musulmans. Ils purent ainsi rédiger en 1560 un Abrégé de chirurgie et bénéficier d’une grande avance en la matière. L’Hôpital subsista bien longtemps après que le village ait déserté le site de ST-PANCRACE. En 1641, lors d’une visite pastorale, l’évêque de GAP Arthur de LIONNE constate que l’église de St-PANCRACE est en fort bon état «mais qu’au devant d’elle, l’hôpital couvert d’ardoises présente des chambres toutes ruinées et que leur planchers s’en vont par terre ».
La ruine ne devait toute fois qu’être partielle car les Bastidons rescapés de l’incendie de leur village par le Duc de Savoie en 1692, vinrent s’y abriter et l’on y soigna les victimes de brûlures. Nous savons aussi que le 9 juillet 1679, Joseph SYVESTRE, grand prieur de l’Abbaye de BOSCODON, en devint le recteur et que, le 6 septembre 1680, il «résigna» sa charge au bénéfice d’Antoine BERNARD, religieux en la même abbaye. Dès le début du XVIIIe siècle, l’hôpital de St-PANCRACE est affirmé être une dépendance de cette abbaye, bien que la congrégation ait disparu depuis le début du XIIIe siècle en raison de la négligence de ses abbés, de son très lourd endettement et du rattachement de ses possessions à d’autres ordres religieux.
Y était établie une maison fermière située aux Aubins, appelée BOSCODON car elle appartenait aux moines de cette abbaye construite en 1132 dans la forêt couvrant le GRAND MORGON sur l’emplacement d’une chapelle dédiée à St-MARCELLIN. La communauté vivait de l’élevage, de l’exploitation du bois et des revenus tirés des «bénéfices», c’est-à-dire des concessions de terres que l’église acquit au Moyen-Age. La maison fermière bastidonne était un de ces bénéfices.
Ce premier village sis à St-PANCRACE perdit de son importance lorsque ROBERT, évêque de GAP, fit construire à TOURNEFORT un château pour protéger les habitants des invasions et des luttes intestines de la féodalité. Il gouverna glorieusement le diocèse pendant seize ans. C’est la deuxième implantation du village pour une période d’environ 100 ans.